Film de Delphine Deloget
De la protection de l’enfance à la « machine »
« Rien à perdre » montre comment s’opère le glissement, comment chacune des parties perd le contrôle. Un film que l’on dirait conçu pour la formation des gens de Justice, JE et avocats, force de l’ordre, travailleurs sociaux, médecins, accueillants et familles.
Un déroulement à déconstruire pour y mettre en lumière comment aider et protéger une famille qui fait face à un accident de parcours.
Une protection de l’enfance qui marche dans la dignité, le respect et l’humanité à l’égard de toutes les parties, ça existe. L’enclenchement de la machine à laquelle échappe le sens de sa mission, ça existe trop souvent… enfants, parents et professionnels en ressortent broyés.
Le renoncement à l’interdépendance des institutions intervenantes, l’absence d’exercice de la fonction « tiercité » à l’intérieur des services sont à l’origine de l’abandon du pouvoir à la « machine ». Les institutions s’y perdent et s’en protègent.
Le film nous montre une situation qui ne devait pas mettre en œuvre des mesures protectionnelles. Même si à tout le moins des propositions d’aides et d’accompagnements pouvaient se justifier. Une mère solo au boulot la nuit, confie son jeune ado à son ainé, presque majeur, jeune homme avec la tête bien sûr les épaules, … accident, hospi, elle tarde à décrocher… les monstres de l’abandon sortent des placards… son erreur : ne pas garantir qu’elle peut répondre à toutes sollicitations, n’importe quand.
La peur, la difficulté d’objectiver le risque de danger enclenche la « machine ». Rien ne l’arrêtera. Plus la mère se défend, plus elle donne des justifications à cette mise en marche de la « machine ». D’entrée de jeu, les interventions se font à charge contre elle.
L’éducatrice référente baigne encore dans des peurs non soldées. Peut-être, est-elle mère elle-même. Compte tenu de son histoire, elle a sans doute besoin de sécurités plus importantes que cette maman, très indépendante, sûre d’elle et confiante dans l’amour de ses enfants, dans la maturité de son ainé.
L’élan empathique de cette travailleuse sociale est justifié. Mais on peut craindre que l’identification projective qu’elle fait sur le jeune fils, le contre-transfert qui s’opère à l’égard de la mère et surtout le silence (respectueux) de ses paires sur sa précipitation, sur le « diagnostic » qu’elle semble faire seule… son émotion, compréhensible, la frilosité de son service… la machine est en route.
Soyons de bon compte, cela est humain, normal… et sans doute bienvenu, si cela s’exprime dans une équipe consciente de l’attention qu’elle doit à chacun de ses coéquipiers. C’est la carence de « contenance » de son service que nous devons questionner. Ces phénomènes normaux, bien qu’indésirables, doivent faire l’objet d’un travail prioritaire d’une institution de service social qui fonctionne sainement, avec la plus grande bienveillance pour que s’exerce l’humanité qui doit être aux commandes pour éviter le glissement.
Résister, innover, prendre soin nécessite cette qualité relationnelle, l’exercice d’une tiercéité circulante dans l’interinstitutionnalité également. Ce que nous avons à exercer dans les rencontres entre médecine et travail social, justice et travail social… l’entrée dans une culture de recherche et soutien des complémentarités.
Proposer la vision ce film suivi d’une déconstruction de toutes les places, penser l’indispensable exercice, difficile, d’une tiercéité interpersonnelle et interinstitutionnelle, est un cadeau à faire à la protection de l’enfance. Je mélangerais les métiers dans cet effort. Une démarche à proposer aux jeunes arrivants Médecine, Justice, Education spécialisée, Accueillants… bref ces merveilleux jobs de la relation d’aide.
Ainsi, la « machine » avalerait moins de familles, moins de professionnels en CM en route vers le burnout.
Luc Fouarge