Santé mentale et climat, merci les jeunes
« L’humanité a le choix : coopérer ou périr. Il s’agit soit d’un pacte de solidarité climatique, soit d’un pacte de suicide collectif », a déclaré le chef de l’ONU à plus de 100 dirigeants mondiaux réunis pour la première séance plénière officielle de la COP27.
La Cop 27 nous sortira-t-elle de la suicidarité mondiale ?
En arrière-plan de cette réflexion, le débat sur l’anthropocène. La dérive de l’humanité glisse depuis plus de 50 ans sur la pente de la déification de l’économie de marché. C’est chose établie. Ce ne fut possible qu’au prix de nos méconnaissances, actes non-conscients de non-connaissance… et nous suivons le joueur de pipeau. Mais cette info sur les risques que nous faisons courir à l’habitabilité de la planète sont connus déjà début des années septante. Cela revient à dire qu’en arrière-fond de nos jouissances de consommations, « sourde » un climat morbide que je qualifie de suicidaire. Nous n’entendions plus son bruit présent comme un acouphène auquel nous nous serions « habitués ». C’était le prix du succès de grandes entreprises, maintenues en survie par de puissants lobbyings. Le prix de la financiarisation.
C’est dans nos silences que s’interrogent les jeunes…et nous regardons partir les nouvelles générations vers la falaise en suivant le joueur de pipeau.
Peu importe que les jeunes s’arment de soupe à la tomate, de purée… elle crie, elle hurle pour que nous nous réveillions. Elle veut nous sortir de cette démarche suicidaire. Je crains qu’il faille ici faire un lien avec la forte augmentation des consultations psychiatriques de la jeunesse.
Nous en avions attribué un peu vite la cause à la covid. C’est de nos aveuglements, de nos cécités, de nos méconnaissances que trop de ces jeunes sont « malades ». Ils expriment les angoisses qu’ils ont épongées chez leurs grands-parents et parents. D’ailleurs, ils descendaient dans la rue pour le climat avant la crise sanitaire.
L’éco-anxiété n’aborde pas la transmission intergénérationnelle entre parents et enfants. Cette anxiété-là, bien qu’existante, a été mise en sourdine.
Me référant au concept de « sentiments exportés », ces non-dits, non-ressentis, ces sentiments méconnus sont exprimés par l’entourage.
Les enfants sont en permanence confrontés à ce phénomène. On dit qu’ils épongent les émotions de leurs parents. Phénomène d’autant plus puissant que leurs perceptions de l’émoi du parent n’est pas accompagné de mots. L’enfant s’en débrouille.
Ce phénomène est en route depuis longtemps. Nos parents, nous-mêmes avons participé à la mise en sourdine d’informations sur ce que l’on nomme aujourd’hui anthropocène depuis les années 50. Prix à payer pour faire fonctionner la consommation, le capitalisme et la jouissance immédiate de commodités à la source de la destruction de la couche d’ozone.
Le contenu de ces silences importe peu ici. Ce phénomène lié à l’économie dirigée par le marché s’est installé dans les rapports humains sans que nous n’en prenions la mesure. Comme le modeling est la méthode d’apprentissage la plus répandue, les dégâts psychologiques liés à ces silences sur des réalités mortifèresgénèrent dans les jeunes générations des manifestations symptomatiques particulières que l’on tentera de faire entrer dans des « cases » de la nosographie. Voilà que nous traiterions chez nos enfants des symptômes qui serait ceux de leurs parents, ceux que produit le néo-capitalisme. Ce faisant, nous amplifions ce phénomène qui « condamne » la jeune génération dans ce rôle particulier d’exprimer les conséquences des évitements de leurs aïeux.
Encore une fois, c’est le prix de la méconnaissance des dégâts que causent productions et consommations et donc, jouissance immédiate.
Les conséquences psychopathologiques imputées à la crise covid ont amené nos autorités à appeler les psychologues au secours du système en facilitant l’accès à la consultation psy. Est-ce que ceux-ci perçoivent à quels services ils sont invités en renvoyant à César ce qui lui appartient. Je crains que non et que dès lors les jeunes n’aient eu comme option que celle d’amplifier les symptômes qui ne sont pas les leurs. Ce qui eut pour effet de remplir jusqu’à les faire déborder les salles de consultations des services pédo-psy.
N’aurait-on pas pu, s’appuyant sur l’école, lui apportant l’aide des professionnels de la santé mentale, engager des débats de déconstructions de cette machinerie économique qui les encombraient à leur insu. Traiter la société plutôt qu’entrer dans un processus de « désignation » des jeunes. Dès 2018 et 2019 en descendant dans la rue pour défendre notre environnement ne nous montraient-ils pas qu’ils avaient les capacités d’orienter leurs énergies nous disant ainsi que nous avions à reprendre nos billes. Mais les écouter risquait d’ouvrir la boite de pandore de la destruction de l’habitabilité de la terre.
Il me semble que tout en se mettant à leur écoute nous les aurions soulagés de renvoyer au monde des adultes le difficile devoir de regarder la réalité en face.
Les féliciter et les soutenir dans l’expression de leur sensibilité les aurait apaisés. Dans une telle attitude ils auraient constaté notre reprise en mains de notre propre santé.
Une action de santé mentale qui ne se laisse pas fascinée par le symptôme mais qui remercie du signal que nous renvoie à juste titre la génération montante qui sans le savoir et à notre insu dit par l’expression de son mal-être celui qui aurait dû être le nôtre.
Une forme d’éco-systémie de la santé mentale qui donne les appuis pour dépasser les symptômes plutôt que les asphyxier par des interventions psy et médicales.
Là, c’est la société qui prend soin d’elle et qui courageusement renonce à se faire diriger par l’économie de marché.
Luc Fouarge