Catégories
IMP 140 Protection de l' Enfance

La joie nourrit le soin

Pas de soin sans joie

C’est de cet instant où nous découvrons que nous faisons mieux ce que nous faisions déjà bien que naît la joie.

Développer la joie dans l’accompagnement des jeunes « placés », hospitalisés… bref, en collectif, est un sacré challenge. Difficulté liée à la nécessité de travailler en équipe, en roulement, à des horaires souvent inconfortables. Mille obstacles organisationnels forcent des concessions aux désirs des uns et des autres, autant de risques de frustrations.

C’est donc dans une interdépendance qui impose à chacun de ses membres de partager des objectifs, des moyens, des procédures dans lesquelles chacun abandonne un peu de ses vues personnelles. Une construction de culture commune s’impose. Une gestion du commun qui confronte les références de chacun, dans une tentative d’établissement de références communes, sécurisantes, protectrices.

C’est grâce au regard d’un équipier qui nous montre à voir de nous ce que nous ne pouvions voir de nous que nous faisons ce saut qui augmente la qualité de notre intervention, qui nous met en joie.

Être envisagé par un adulte en joie permet aux jeunes que nous accompagnons de goûter, parfois pour une première fois, au fait d’en être la source. Une nouvelle construction de soi, de l’image que le jeune se fait de lui, un accès dans la dignité et le respect de l’autre, de sa puissance d’agir, malgré tout ce qu’il entendit dire de lui.

C’est un soin dont nous ne connaissons pas la mesure. Ces effets sur le jeune alimentent le processus d’expérience de la joie. 

Découvrant cette expérience heureuse dans le regard de l’adulte, il découvre son pouvoir d’agir, il expérimente l’empathie. Il s’humanise dans cette découverte d’être le sujet de la joie de l’adulte. Cette découverte le soigne et pourrait bien le mettre à son tour en joie. 

Je vous laisse deviner ce que produit sur lui l’humeur « hostile » d’un adulte en proie avec un climat d’une équipe chargée en ressentiments.

Souvent, très tôt ces enfants ont du se spécialiser dans l’observation, le diagnostic…pour anticiper, contrôler, éviter les coups.

Accueillir un éducateur, un intervenant qui vit un malaise, une révolte, un sentiment d’injustice, invite le jeune à faire usage de ce don. Hélas, il s’attribue souvent la cause du mal-être de l’adule et se suradapte à cette intention qu’il attribue à l‘intervenant. Monter le curseur d’un symptôme a toujours fonctionné. 

Au minimum, le jeune s’assigne la tâche de distraire l’adulte

Cette humeur particulière ne sera probablement pas décodée par le jeune comme ne lui appartenant pas. Il y trouvera sans doute que le monde est pourri et qu’il est lui-même pourri, croyance qu’il « apprit » jadis à lire le monde qui l’entourait. Ses tentatives de « gérer » ce monde par ce que nous avons appelé résistances et symptômes le tienne à distance des intervenants. Il se protège. 

C’est la puissance de ce soin évoqué plus haut qui permet l’ouverture d’une brèche. 

A cet égard, la tâche prioritaire de l’équipe, soutenue par ses cadres et  la direction sera de veiller aux conditions qui conduisent plus facilement chacun dans l’expérience de la joie.  Le croisement de regards des différents métiers qui assurent cet accompagnement, en assure le succès. 

Et maintenant, nous pouvons mettre en œuvre le projet thérapeutique qui s’est nourri de cette interdépendance. Ainsi débute la thérapie institutionnelle. 

Les tentatives de mise en œuvre des projets personnels, des plans thérapeutiques les plus élaborés sont voués à l’échec si l’équipe s’épuise dans les « ressentimentalisations » des incidents organisationnels, relationnels… si normaux dans le travail d’équipe. Tout un processus, un système implicite à lire sous la lumière des concepts de résistance, de résonnance, d’homéostasie. Machinerie infernale que ces jeunes connaissent et qu’ils mettront en œuvre, « respectant » ainsi leur famille dont ils ont vu l’inconfort face à des regards « intrusifs »

C’est après le soin que s’offre le service que se construit son potentiel soignant. Le « travail clinique » suit.

Ce que je mets sous l’image de la machinerie est un processus humain, normal, mais inefficace et qui fait courir à tous le risque de l’épuisement.

N’en rajoutons donc pas, ouvrons les yeux dans la bonneveillance et passons de la culpabilité à la responsabilité. Remettre 1000 X cet ouvrage sur le métier, au vu des difficultés à vivre que nous rencontrons, est normal, tout comme l’impression de s’y perdre, ou d’y perdre son temps. Ce principe de réalité du travail institutionnel, tout usant qu’il puisse apparaitre, est une des conditions nécessaires de la clinique, de la thérapie institutionnelle.

Luc Fouarge

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.