Pourquoi mes éducateurs crient… !
Ils crient plutôt qu’ils ne parlent, ils humilient, parfois frappent…. « Elle se pisse dessus pour me faire chier » … le métier d’éducateur, régulièrement exercé sans formation, tombe parfois bien bas.
Des observations d’intervenants dans des services destinés à l’accompagnement de personnes porteuses d’un handicap mental et/ou psychique.
Cela n’est évidemment pas soutenu par l’institution… mais voilà, les yeux et les oreilles se détournent de ces horreurs que subissent les personnes au quotidien. Parfois, les humiliations prennent des détours par une décision d’équipe.
Ex : la question venue sur la table est la fréquence des wc bouchés par un mésusage du papier toilette. Il est décidé que les éducateurs distribueront quelques feuilles de PQ quand la personne le demande. Le nombre de feuilles devient objet de pouvoir et de tyrannie. Bien davantage encore quand on sait que les distributeurs de savon pour les mains ne sont pas remplacés.
Cette quotidienneté de bains d’humiliations dont je m’empresse de signaler qu’elle n’est pas généralisée,s’exerce sous le regard des collègues qui n’ont rien vu, rien entendu. Ou plutôt, un climat général, d’hostilité à l’égard de l’institution dans laquelle on se parle peu, on s’écoute encore moins et surtout où on évite de se frotter.
- Quel besoin de l’éducateur est impensé pour qu’il opère comme par vengeance, sans trop le savoir sans doute ?
- Quelle dynamique silencieuse, de méconnaissance, de déni opère dans cette institution devenue, peut-être, trop grande ?
- Comment une telle quotidienneté confirme-t-elle la personne dans le non-savoir, dans la soumission, se réjouissant presque de réussir à maintenir toute une institution dans l’homéostasie ?
- Les moyens disponibles pour les organismes d’évaluation internes et externe ne semblent pas atteindre ces strates d’(in)humanité sont-ils à la mesure des soins que méritent les personnes niées dans leurs besoins essentiels ?
L’impensé conduit à l’impensable. La place de l’éducateur, accompagnateur… chatouille chez celui-ci des émotions d’une large palette qui va de l’amour à la haine. Il entre en relation avec les émotions cachées, celles qui le conduisaient au silence, celles aussi qui furent survalorisées. Il y arrive par choix, avec amour. Il y arrive par dépit avec cette dose de haine qu’il n’a pas fini de métaboliser.
Il rencontre des équipiers, il y rencontre des personnes. Et voilà que des scènes actuelles en rejouent de plus anciennes, oubliées, tirent sur l’élastique relié à des émotions tues qu’il prend en pleine figure. Et cette figure, il se doit de la garder « honorable ». Là se ferme le piège de l’entrée dans les indignités qu’il fait subir.
Ce qu’il ne peut voir de lui, l’équipe le peut. Mais, parfois, elle n’équipe pas son coéquipier de la fonction tiersindispensable à l’exercice de ce métier. Ce moment particulier où le team détourne le regard, par frilosité, par « respect », par bienséance.
Dans un team où la culture valorise une certaine proximité comme condition première d’élaboration du soin, il est autorisé, suggéré même, que ce rôle de l’équipe est, sincèrement, la première de ses tâches. Une culture du « Moi, d’abord » comme sujet de l’attention portée par les autres et qui devient le passage obligé de la métabolisation des émotions les plus difficiles, envahies de celle d’un autre temps. Il faut un pilote formé, du regard sur une éthique professionnelle qui pose l’éducateur comme sujet bienvenu avec toutes ses émotions. Cette approche « intervisionnelle » devra peut-être se poursuivre avec une aide externe à l’institution.
L’éducateur, comme tout intervenant en institution de soin et d’accompagnement, est porteur d’une histoire qui lui est propre, lieu de résonance avec les freins, les arrêts de développement des personnes. Cette forme de quête non consciente d’accordage sur le non-changement, ce qu’on nomme homéostasie. Une recherche dans laquelle intervenant et personnes sont acteurs de quelque chose qui leur échappe. Là où chacun finit par rejouer ces vieilles scènes qui confirment la pertinence de vieilles « décisions », nées de « croyances » familiales et de tentatives de répondre à la question de comment se faire aimer. C’est en partie cela qui nous conduit à exercer ces métiers. Là, n’est pas le problème. Que du contraire, trouver le lieu où peuvent se dire, sans se faire démonter, les pires horreurs que l’on souhaiterait aux personnes permet à l’équipe de grandir et à l’éducateur de se libérer d’entraves à sa propre évolution. Il nait de la méconnaissance de cette mécanique psychologique, peut-être même du refus d’en faire un objet de travail premier et indispensable pour contenir la personne en proie à des peurs limitantes.
Tel éducateur répond plus facilement que d’autres aux « invitations » de porter sur ses épaules la tête d’une figure du passé de la personne… elle put être maltraitante.
L’équipe s’en aperçoit et dans l’éthique que je suggère, comme déjà dit, elle place ce sujet de travail en haut des ordres du jour des réunions d’équipe. Penser l’émotion, trouver la réponse au besoin sous-jacent et protéger les personnes et l’éducateur.
Lorsque cet accrochage, aussi néfaste pour la personne que pour l’éducateur, devient caisse de résonance d’anciennes torpeurs, c’est l’institution qui doit se mettre à penser les silences dominants en son sein. Elle est, à travers ces cadres, porteuse des règles éthiques qui garantissent l’élaboration du soin.
Beaucoup de ces services ont une parole confisquée par des états d’humeurs belliqueux. Une forme de résistance à laquelle, chacun, toutes les instances contribuent pour la paix… mais laquelle ? et avec quel impact sur les personnes ?
Le quotidien devient éprouvant pour chacun et le conflit s’est érigé en rempart contre cette interpellation à peine dite par les personnes dont on ne sait pas assez le pourquoi du comment de leur choix « scénarique ».
Cette force de méconnaissance (processus non conscient de non-connaissance) se repère bien au-delà de nos services, n’est-ce pas ce « cancer-là » qui conduit notre monde des humains vers des catastrophes prévisibles et bien documentées.
Questionner ce qui est moteur de Joies dans le service, pour les intervenants et pour les personnes est la question globale à déplier. Culturellement, est-elle bienvenue ?
L’évaluation d’un service est faiblement activée par les démarches qualités. Une norme ISO ne titille pas cette question sur lesquelles toutes les instances devraient voir, comprendre les violences qui s’exercent dans un silence presque complice des personnes. Complicité qui échappe aux évaluateurs des services de subvention. Chiffres, taux, statistiques, procédures… si on y reste figé, font de ces évaluateurs des complices, bien malgré eux.
Il convient donc de définir quels sont les signes, joies ou silences, vie ou apparence de tranquillité… le débat devrait s’ouvrir entre évaluateurs, personnes et personnel.
Luc Fouarge