Martine … au pays de la complexité
En protection de l’enfance…
Le soin, son terreau est une culture de l’inter ; Interdisciplinarités, interinstitutionnalités et transversalités de la réflexion des autorités en responsabilité.
Martine a 12 ans, accueillie dès l’âge de 6 ans dans les services de la protection de l’enfance. 3 eme d’une fratrie de 4, dont deux demi-frères sont les aînés. La mère a connu de nombreuses unions, le père a obtenu une déchéance, la recherche en paternité montre qu’elle n’est pas de lui, depuis elle ne sait pas qui est son père. Un grand-père a fini sa vie en prison, le compagnon de la grand-mère a abusé d’une sœur de la mère.
Après de nombreux placements en accueil familial, Martine est admise en ITEP, du lundi au vendredi et quelques jours durant les vacances, elle est en attente d’un autre lieu de vie, dans la dernière MECS ses actes de violences sont insupportables. Depuis quelques années elle fait des séjours en hôpital consécutivement à des « crises ».
Martine rencontre une psychologue en CMP. Durant les WE elle est encadrée individuellement et en présence d’un agent de sécurité dans l’attente, impatiente, de son transfert qui tarde à venir.
A une première équipe mobile, s’est ajoutée une deuxième. Dans ce genre de situation on entend dire que si les psychiatres acceptaient de lui « coller » un diagnostic plus sévère on pourrait l’envoyer dans un établissement belge. Ceux-ci organisent un accueil 365 jours.
Avec d’autres je définis le concept « jeune en situation complexe » disant que les réponses dont il a besoin relèvent des trois des champs suivants : la santé mentale, le secteur psycho-médico-social et la protection de l’enfance. Ces jeunes cumulent souvent avec des retards scolaires, des signes de déficit de soins somatiques, de troubles graves de l’attachement, des troubles du comportement et une aptitude particulière à titiller les résonances du personnel encadrant ainsi que les difficultés de communication entre institutions. Il n’est pas rare que s’ajoutent des comportements limites, justiciarisables. En raison de leur situation.s familiale.s la plupart ont un dossier chez le juge des enfants, au moins pour des raisons protectionnelles. Ils ont en commun de refuser ce dont ils ont besoin pour grandir, obtiennent régulièrement des rejets, des évictions, collectionnent et confirment les rejets qu’ils initient, gérant ainsi des conflits de loyauté. Ils manifestent des séquelles graves de déliaisons.
En face d’eux ils rencontrent des acteurs du soin, de l’éducatif et du pédagogique attachés à des services résidentiels et ambulatoires, des lieux de vie qui bien malgré eux confirment les échecs de tentatives d’attachement, gravant ainsi les croyances, les mécanismes défentiels. Ces institutions pratiquent du « saucissonnage schyzophrènogène » sans en prendre conscience. En réponse, les jeunes, par de vaines tentatives pour les faire dialoguer, font batailler entre elles les institutions. Ils démontrent ainsi qu’elles ne réussissent pas mieux que leur.s famille.s.
Sur le terrain les agents se plaignent de solitude, d’impossibilité de se parler vrai entre professions et institutions différentes. Comme si chacun s’empressait de relancer la « patate chaude ». Ce vocable les « désigne ». Comme le concept d’ « incasable » d’ailleurs. Je rappelle que ce concept ne parle pas du jeune, ce n’est pas un diagnostic. Il dit ce qu’il en est de l’incapacité de réussir à co-construire « une case » accueillante, protectrice et soignante entre institutions de champs différents. Parfois elles agissent sous couvert d’une même tutelle administrative et financière.
Cette réflexion est loin d’être neuve, elle est régulièrement évoquée. Qu’est-ce qui fait obstacle ? Qu’est-ce qui nous empêche de construire à plusieurs ce « TENIR » contenant qui semble être la réponse urgente et vitale dont a besoin Martine en lieu et place des expériences de rejets qu’elle semble collectionner, se moquant presque des services et personnes sur lesquelles elle semble exercer une grande puissance ?
La plupart part des services sollicités activent la défense de leurs frontières, se retranchent derrière leurs limites, celles par lesquelles les moyens financiers insuffisants jen ustifient le recul de ses limites. De même, les professions s’attardent à définir, redéfinir des fiches de postes dans lesquelles elles cherchent l’argument qui permettra de sortir « honorablement » du protocole s’épargnant d’être désignées démissionnaires. Cette climat ambiant installe cette croyance qu’il est vain de « tricoter » une pratique de réseau.
Interroger cet impossible met en évidence des difficultés dans l’exercice du pouvoir ces champs différents, entre les professions auxquelles quelques-unes se donneraient un surcroît d’autorité. Chacun se met à redéfinir les observations rassemblées à propos de Martine pour leur faire dire qu’elle relève de la responsabilité de l’autre. Et pendant ce temps-là, Martine compte les points et engrange les « primes » qui la confortent dans l’exercice de ce que nous définirons comme étant sa pathologie. Ainsi redéfinie, on la pousse dans le jardin du voisin. Ayant à discourir sur « sa pathologie » nous sommes épargnés d’avancer dans la compréhension des distances que nous cultivons entre services de champs différents.
Je situe donc la priorité des débats sur les Martine au niveau de la culture régnante dans l’inter des champs liés à la protection de l’enfance. Les tentatives s’effilochent faute de pilotage.
Je sais que deux psychiatres se sont parlé au téléphone concernant Martine, et j’ai aussi entendu qu’elle est passée de l’ITEP à la MECS avec un changement de médication sans que cela ne redescende auprès des accueillants du quotidien. J’ai aussi entendu qu’aux invitations de rencontres cliniques, tous ne sont pas invités, et parmi les invités, d’expérience, sachant ce genre de rencontres peu efficaces, elles sont régulièrement, en partie, boudées. Si elle était présente Martine nous dirait qu’on parle « drôle d’elle ». Des discours interminables et surdétaillés, des propos de « synthèses » voilent les impuissances. Une position basse qui permettrait qu’un partenaire se reconnaisse impuissant, trop effrayé, enfermé dans une colère larvée, bref dans un contre-transfert négatif…. Cette rencontre ne servira pas à aider chacun à accueillir et à métaboliser ces émotions que suscitent Martine, sa famille, les lieux de vie qui se sentent disqualifiés. Dans ces rencontres hostiles et compétitives, ils s’effacent ou s’effondrent. En lieu et place d’actions concertées et soutenues on constatera des passages à l’acte.
Il faut donc une approche culturelle, des rencontres de travail qui engagent. Un engagement sur le soutien que chaque partenaire peut apporter à l’autre quand Martine les conduit à la rupture du lien.
« S’entendre » avec des dits-incasables, ce qu’ils ne sont pas vous disais-je, exige un engagement sur une culture du TENIR ensemble. Évoquant le partenariat ; mieux tu réussis, mieux je m’en sors, j’ai bien envie de faire tout ce qu’il faut pour que tu réussisses…voilà à quelle culture nous avons à travailler.
Joli me direz-vous, mais qui fait le premier pas. ARS et MDPH, CG et ASE , TE, AEMO, AF, TISF, CMP, HP, …
N’ajoutons pas de nouveaux partenaires, ces situations sont complexes à souhait. Nous risquerions de « gadgetiser » la protection et le soin que requièrent ces jeunes.
Ma proposition n’est pas un choix pour faire joli. Je le disais, c’est un engagement.
Les situations dites complexes sont critérisables (pour faire plaisir aux amateurs d’évaluations, de statistiques et de fromage). Lors de la découverte de ces situations particulières, sans grand risque de catégoriser, il est possible d’anticiper le déroulement probable du devenir des Martine. Dans ces cas, il convient de faire des plans sur le scénario catastrophique possible. Nous savons sans doute que la puissance développée par Martine à se faire jeter s’appuie, par exemple, sur sa capacité de mettre le lieu de vie à plat. Un lieu de vie alternatif épargnera les accueillants de cette douloureuse expérience du rejet diminuera s’il est signataire du protocole avant sa mise en route. Ainsi anticipé le risque d’épuisement est réduit, Martine peut-être provisoirement déplacée sans que la « machine » ne lui donne des « récompenses » pour avoir conduit son, ses accueillant.s à l’épuisement et au rejet. L’objectif de cette construction du TENIR est de priver Martine de la poursuite de cette collection macabre dont elle nous aurait fait partenaire, si efficacement qu’on ne l’aurait pas vu venir.
Ainsi, pour Martine anticipons en « protocolisant » le recours à l’hospitalisation qui était devenu le moyen de mettre à mal le lieu d’accueil. Lors une table ronde, ASE, MECS, CMP,ITEP, hôpital… gérons ensemble le calendrier de fermeture de l’ITEP et construisons avec lui et d’autres acteurs ces épisodes de sorte que ceux-ci ne viennent pas augmenter les expériences de déliaisons. Offrons-lui ce démenti que le monde lui est hostile et qu’elle fait bien de se mettre à l’abri, qu’elle ne renie pas sa mère qu’elle vomit encore en acceptant nos offres.
Profitons de cette table ronde pour savoir qui mettra au travail cette question du père qui se désavoue et abandonne. Mais aussi de l’autre, le géniteur dont on ne peut rien dire ! Qui entre dans cette réalité, sujet évité, de peur de réveiller les dragons qui sommeillent en Martine. Le psy de l’ITEP, celui du CMP ? qui aborde ces questions. L’équipe mobile récemment désignée se retiendra d’interroger le travail des psy. Devoir de réserve ou politesse… On pourrait ainsi se regarder…longtemps, pendant que sommeille , provisoirement, le volcan.
C’est donc bien la culture professionnelle, faite d’humanité, de bonneveillance (D.Marcelli) dans l’approche des situations dites complexes que nous aborderons la complexité des réalités que doit digérer Martine pour laquelle nous ne pouvons nous contenter de formuler des souhaits. Tant nous qu’elle, avons besoin de rencontrer le succès qui devient possible par le succès du partenaire, si je le favorise. Commençons par former les chefs de services à cette dimension du travail social, de la relation d’aide, de la contenance institutionnelle, de la mutualisation, de l’exercice de la tiercité au sein des équipes… à leur apprendre à cultiver l’interdisciplinarité, l’interinstitutionnalité… à cultiver un état d’esprit qui priorise sur la bonne santé de son équipe, des partenariats authentiques avec la conviction que cette qualité relationnelle deviennent soignante pour tous et pour les familles accompagnées. La participation de familles en besoin de soutiens à ces réflexions augmente tant la qualité des accompagnements. Interrogeons les freins d’une telle démarche.
Est-il besoin d’ajouter qu’à défaut de réussir ce « prendre soin » des institutions, services et équipes, la « machine » génère de la maltraitance institutionnelle. Responsabilité que les partenaires externalisent comme le font les ados pris en défaut. L’autre institution devient ainsi « coupable » de mes limites. C’est là que se débat aujourd’hui Martine.
Nous mettant au travail dans cette culture nous construirons une clinique éducative contenante.
Luc Fouarge Poursuivre : « Équiper » le travailleur du psycho-social – sur http://www.lucfouarge.com/formations