Carte blanche pédopsy – Les salles d’attente débordent de la suicidarité ambiante
Bien sûr, sans réserve, je remercie l’initiative des pédopsy sur cette carte blanche à propos des soins qu’il convient d’apporter aux trop nombreux ados qui manifestent des envies suicidaires.
La saturation des services pédopsy pose les questions de l’orientation vers des aides et soins ad hoc, le recours à la pédopsychiatrie, la médicalisation de problèmes psychosociaux, l’éveil tardif des intervenants psychomédicosociaux sur la dimension politique du soin et de l’éducation. J’apprécie que la carte blanche questionne les mises en œuvre de politiques qui relève du psychomédicosocial, de la protection de la jeunesse et de l’école. Des secteurs qui opèrent sous l’égide de 3 niveaux de pouvoirs. Un découpage politique qui contribue à la difficulté d’ériger des projets pensés et co-construits de façon transversale. Un accord entre les administrations de l’Aide à la Jeunesse (CFWBxl) et de l’AVIQ (RW) débouchait sur les « Jardins pour Tous », enterrés en même temps que l’arrivée de la pandémie. Un par province et une structure faîtière. Localement des rencontres mensuelles inter-sectorielles, multidisciplinaires et interinstitutionnelles apprenaient aux acteurs participants à tricoter du réseau. Des réflexions et pratiques sécurisantes pour les professionnels qui deviennent plus courageux et qui par phénomènes de cascades rejaillissaient sur les publics fragiles. Plus courageux et donc plus « contenants ».
L’insécurité des personnels accrue par la crise sanitaire conduit un peu rapidement les jeunes vers les hôpitaux à la suite de manifestations anxieuses aux allures de dépression.
Solution qui pourrait bien, inconsciemment, avoir pour intention de faire porter par d’autres les inquiétudes qui nous envahissent. Cela correspond, sans doute pas par hasard, au phénomène adolescentaire d’externalisation des responsabilités de ses actes.
Du soin bien sûr est nécessaire MAIS à plusieurs et plus anticipés. C’est là aussi que s’inscrit la dimension politique du soin.
La tentation de faire porter sur la crise sanitaire cette explosion de l’orientation d’ados vers la pédopsy pourrait nous faire passer à côté des réponses urgentes dont ils ont besoin. La carte blanche nomme l’impact de dysfonctionnements sociétaux. Là elle dit qu’il serait rapide et dangereux d’attribuer la cause de l’explosion de ces orientations à la seule crise sanitaire. La crise agit en montrant les fragilités de l’organisation du vivre ensemble. Ici s’inscrit la dimension politique et éthique du soin. Cette carte blanche, si elle n’est pas relayée, commentée dans l’ensemble des lieux concernés par la construction psychique des jeunes, y compris l’école, augmentera l’effrayant constat de saturations des consultations psychiâtriques. Si l’école n’est pas et ne doit pas devenir un lieu de soin elle a cependant grand besoin de soutien des professionnels spécialisés pour accueillir les jeunes qui manifestent des signes de souffrances, de carences en famille. L’école est le lieu de la première expérience des jeunes avec l’extérieur de la famille. Attention qu’ils n’apprennent à l’école ce qu’ils ont déjà découvert à la maison que les adultes ne peuvent les entendre et qu’il faut les ménager.
Ici aussi s’ouvre la compétence des psy, observateurs privilégiés de la société, dans cette question politique au cœur du soin. Il appartient à l’ensemble des acteurs psychomédicosociaux de parler, commenter et peut-être agir au niveau politique pour augmenter l’accueil de paroles libératrices. Les enseignants, dans cette dimension éducative de leurs pratiques doivent être épaulés pour voir, entre les lignes, ce que les enfants se sont interdit de dire chez eux.
Attention, la leçon que tireront les enfants et les jeunes, de la saturation des services psy sera sans doute de ne pas en rajouter à la détresse des professionnels desquels ils attendent d’être aimé, c’est sans doute ce qu’ils ont appris à la maison. Si non…ils nous faudra apprendre à décoder les comportements passifs qu’ils déploient, il nous faudra apprendre à lire entre les lignes du comportement…mais quand on est là, il est souvent tard.
- Médicaliser la suicidarité ou l’éclairer d’un regard reconnaissant pour la fonction qu’exerce le jeune qui se débat ?
- Ne nous donne-t-elle à voir la cécité de la société qui se dirige vers le haut de la falaise ?
- La réponse ne serait-elle pas d’activer les ressorts politiques d’un avenir sociétal plus (en)viable ?
- Ne serait-il pas plus juste de soutenir les fonctions « contenantes[1]» de la société plutôt que de « pathologiser » le mal-être de la jeunesse ?
Nous coupons les fils des témoins lumineux du tableau de bord plutôt que de porter secours à la famille, l’école, les mouvements de jeunesse, la culture et le sport pour qu’ils exercent mieux la « contenance » à laquelle font appel les jeunes ?
- N’est-ce pas de toute cette insécurité, imprévisibilité que nous alerte les jeunes ?
Luc Fouarge
Président du CRéSaM
Janvier 2022
[1] Contenance, « tu es le bienvenu avec toutes tes émotions, je t’écoute, je reste avec toi… »