« …soigner le malade sans soigner l’institution relève relève purement et simplement de l’imposture… » Jean Oury cité par Cynthia Fleury
La crise sanitaire révèle des fragilités déjà existantes.
La pandémie porterait au jour les méconnaissances (processus actif et non conscient de non-connaissance) des fatigues déjà décrites mais enfouies.
Alain Ehrenberg décrivait ce processus il a plus de 10 ans, dans « La fatigue d’être soi »
« Nous savions tout cela. Et pourtant paresseusement, lâchement, nous avons laissé faire. Nous avons craint le heurt avec la foule, les sarcasmes de nos amis, l’incompréhensif mépris de nos maîtres. …Nous avons préféré nous confiner dans la craintive quiétude de nos ateliers. » Marc BLOCH, L’étrange défaite, écrit en 1940 Publié en 1990 chez Gallimard
« Si nous ne changeons pas de modèle économique, social et politique, si nous continuons à traiter le virus comme un évènement biologique dont il faudrait se borner à « bloquer la circulation », les accidents sanitaires ne vont pas cesser de se multiplier » revue Lancet, repris par Barbara STIEGLER[1]
Ces méconnaissances sourdent dans notre existence… nous le « savons ». Comme un arrière-fond culturel suicidaire que nous traversons en détournant le regard, ce qui ne l’empêche pas d’être actif. De la passivité qui plombe notre société, jaillissent les fragilités que nous taisions, les jeunes ne sont pas dupes.
La crise désembue notre vision mais nous continuons la marche.
C’est avec cette insécurité que nous escaladons l’imprévisibilité, sans assurance.
Et nous le savons, les enfants pas encore « pervertis » se branchent inconsciemment sur nos inquiétudes tues, leurs symptômes nous en distraient.
Aujourd’hui la crise sanitaire nous autorise à montrer nos fragilités. La mise à l’épreuve soignants hospitaliers est devenue un indicateur, l’instrument de mesure d’un mal-être que nous serions autorisé désormais à regarder dans les yeux.
Toutes les corporations se sont ainsi exprimées à la suite des soignants qui sont le dernier mur rempart contre nos angoisses de mort. A 20 :00 nous descendions dans la rue pour leur dire qu’ils doivent tenir. Ils sont essentiels quand nous sommes… et nous ?
Dans les services résidentiels pour jeunes le personnel se serre les coudes, les directions le soutient comme jamais particulièrement dans ces services qui doivent accueillir 24/24 et 365 jours/an.
Mais la fatigue était déjà là. Celle dont parle Ehrenberg, celle d’un manque de prise en compte de la force d’impact sur le psychisme du personnel des détresses, des souffrances, des pathologies des jeunes accueillis. Le temps de métabolisation en équipe se réduit, l’organisation de réunions en présence s’espacent pour préserver les prestations en « présentiel » auprès des jeunes.
Les directions évoquent des défections ainsi que des difficultés de recrutement. Les mêmes propos se tiennent dans les services ambulatoires d’aide à l’enfance, à la jeunesse, aux familles. Des études universitaires le confirment.
Et portant il faut tenir.
TENIR, est justement la réponse qu’il convient de donner aux jeunes que nous accueillons atteints pour une grande partie de troubles de l’attachement. Ces troubles particuliers qui conduisent au rejet, aux réorientations, aux abandons…aux qualifications pathologiques que nous leurs faisons endosser. Ainsi chargés ceux-ci augmentent la puissance d’emprise, mécanismes de défenses souvent repérés chez les jeunes qui évitent la proximité psychologique authentique dans laquelle ils se sentent très vulnérables.
Mais comment organiser le « tenir » quand les fragilités révélées nous fragilisent.
« Plongés dans ce continent mental de la pandémie…nos esprits sont comme occupés » B.Stiegler. Comme ils l’ont appris avec des parents qui dysfonctionnent, ils s’« occuperont » de nous », prendront soins de nous, par les symptômes.
Cela n’a pas privé toutes les équipes de leurs créativités, lors de cette journée de partage d’expériences à Turin, avec MèTIS Europe nous les évoquerons en présence de personnalités politiques européennes qui pourraient relayer nos projets, nos objectifs. Postés comme observateurs privilégiés de la société grâce à l’enseignement de ces jeunes et de leurs familles, si nous optons pour l’humilité qui nous permet de les écouter, nous pouvons contribuer aux modifications culturelles qui nous libèrent.
Luc Fouarge
[1] IN TRACTS N° 23, GALLIMARD, DE LA DÉMOCRATIE EN PANDÉMIE. SANTÉ, RECHERCHE, ÉDUCATION
Cy,nthia Fleury Tracts N°6, Le soin est humanisme…. elle y parle du patient expert